Propriété intellectuelle. Aléas ACTA est

En ce moment se déroulent des négociations entre 38 pays parmi lesquels les principales puissances mondiales : Etats-Unis, Union européenne, Japon mais aussi pays de l’Océanie… Acta signifie Accord Commercial Anti-Contrefaçon (Anti-counterfeiting Trade Agreement). Il vise notamment l’objectif de lutter contre la contre-façon des médicaments sous l’égide des firmes pharmaceutiques qui s’estiment victimes d’un trafic de faux-médicaments pour un montant de l’ordre de 45  milliards d’euros par an. Ce qui n’est pas sans conséquences sur la santé des individus en particulier dans les pays pauvres comme la fondation Jacques Chirac l’a démontré récemment. ACTA permettrait ainsi de dévoiler l’identité des internautes qui violeraient la législation sur les droits d’auteurs, autrement dit ici les droits à la propriété intellectuelle.

Pour l’industrie pharmaceutique, l’enjeu est de taille. On se souvient toute la difficulté qu’elle avait eu à accepter un accord avec le Brésil et l’Afrique du sud pour que pays produisent eux-mêmes leurs médicaments génériques sur la trithérapie, médicaments destinés à venir soigner les personnes atteintes du Sida.

La société civile du net se mobilise

Cette négociation intervient dans un contexte tendu entre le monde de l’internet et le monde politico-économique. En France, ce sont les lois Hadopi et Loopsi qui ont fait couler beaucoup d’encre, à l’étranger c’est l’opposition entre Google et le gouvernement chinois qui a montré tous les risques qu’internet, et la liberté d’expression, ou plutôt la facilité à exprimer ses opinions, qui l’accompagne.


Hadopi : Le pire du pire de l’assemblée
envoyé par bakchichinfo. – L’info internationale vidéo.

Prévues pour rester secrètes, les négociations ont fait l’objet d’une intense communication de la part des opposants à une plus forte régulation du web. Aux Etats-Unis, c’est notamment le site américain Wikileaks qui a publié plusieurs documents sur Acta (Lire ici)  En France, c’est la Quadrature du net qui mobilise la communauté du web contre cette loi qualifiée de « liberticide ». Remarquons que ces deux organisations éprouvent actuellement d’importantes difficultés à trouver les financements nécessaires à leur action. Pour Wikileaks c’est la rançon du succès qui l’oblige à s’assurer de moyens de protection de ses sources et en bande-passante en évolution exponentielle, pour la Quadrature il s’agit de trouver les 70.000 euros nécessaires pour financer les recherches du site. Sur ce dernier point, le pari semble en passe de réussir pour la Quadrature puisqu’en date du 8 février la quasi-totalité de cette somme a été réunie auprès de donateurs anonymes ou pas comme Pierre Chappaz qui a abondé de sa quote-part une partie de ces dons.

Un texte signé par de nombreuses ONG et associations appelle à plus de transparence sur la question et incite le parlement européen à se saisir de cette question : « Celles-ci sont en effet très fortement menacées, puisque le projet en cours appelle à l’adoption de dispositifs de « riposte graduée » et de filtrage de contenus en tentant d’imposer la responsabilité civile et pénale des intermédiaires techniques, tels que les fournisseurs d’accès Internet. Le texte pourrait également radicalement mettre en cause l’exercice de l’interopérabilité, qui est essentiel à la fois aux droits des consommateurs et à la compétititivé. »

D’autres intervenants sont venus soutenir la cause des anti-ACTA. En premier lieu desquels, Google. Le géant californien voit d’un mauvais œil tout ce qui peut atteindre la liberté sur Internet pour des raisons à la fois économiques, l’expansion d’internet est au cœur de son business, et philosophiques puisque l’entreprise se positionne comme défenseure des libertés. Ce qui au passage ne l’avait pas empêché de passer un accord politique avec le gouvernement chinois lors de son arrivée en Chine.

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Le site internet ReadWriteweb indique que «  le représentant des lobbies, Steven Metalitz (avocat de la MPAA et de la RIAA), a longuement défendu le traité et la nécessité du secret de sa négociation. Une position difficile mais on ne peut que saluer l’effort de dialogue. Pour lui, le secret est une condition nécessaire à la négociation avec les pays étrangers (entendez, entre autre, l’Europe, qui semble être en train, dans certains de ses pays membres, de le mettre en application). » Steven Melatiz est un lobbyiste reconnu. Il est ainsi associé dans le cabinet Mitchell, Silberberg & Knupp LLP et conseil de l’International Intellectual Property Alliance® (IIPA®). Avec plein de ® partout.

Une question de geeks ?

En France la question de l’ACTA a été traitée avec retard dans les médias traditionnels mais traitée tout de même et avec abondance relative. On trouve un papier sur le site du Nouvel Observateur, qui parle d’une source à la Commission européenne. Un autre dans les Inrocks. L’Express aussi s’est saisi de la question mais pour dire qu’il n’en dirait pas beaucoup plus. Après avoir écrit que c’était un sujet de geek, Eric Mettout, le rédacteur en chef du site web a éclairci sa position en précisant que « Surtout, le terrain d’application est vaste, flou, hétéroclite, des terrains de foot à l’Internet. La Loppsi, c’est pour combattre la pédophilie en ligne, les chauffards, le terrorisme, les hooligans? Résultat, entre politique, société, high-tech, sport… personne ne se saisit du sujet, personne ne sait comment s’en saisir ». Ce qui n’est pas faux. Mais est-ce une raison pour ne pas chercher à en savoir plus. Le Monde a également publié un papier en précisant les conséquences potentielles du traité :

  • « L’obligation pour les fournisseurs d’accès à Internet de fournir l’identité du propriétaire d’une adresse IP (Internet Protocol), sans mandat judiciaire, aux organismes de défense des ayants-droit.
  • La possibilité pour les douaniers et gardes-frontières de confisquer ordinateurs, baladeurs ou disques durs contenant des fichiers contrefaits, comme des morceaux de musique téléchargés illégalement.
  • Le durcissement des sanctions pour la violation des mesures techniques de protection (Digital rights management systems, DRM), comme les logiciels anti-copie présents sur les DVD ».

Le site Numérama, spécialisé sur les questions technologiques, s’est quant à lui montré très présent sur un sujet sensible pour sa cible de lecteurs.

Mais l’identité de la gorge chaude n’est pas indiquée. Tout comme on ne sait pas qui négocie pour l’Europe avec les autres parties en présence. Si plusieurs journaux ont pu interviewer « un négociateur européen », rien ne nous indique son identité. Qui est-il ? Qui est-elle ? Pourquoi ne pas publier son nom ? Quelle est sa légitimité ? Quelle est son indépendance ? Autant de questions, qui restées sans réponse, alimente la rumeur au détriment de la vérité. Ce qui dessert le débat public sur une question majeure dans un monde numérique qu’est celle de la propriété intellectuelle.

Sur le plan politique, si Europe Ecologie souhaite faire du sujet ACTA un thème des régionales (le but des régionales cela n’aurait pas un rapport avec le mot : régions ?), Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat à l’économie numérique, de son nick-name NKM, est plus évasive sur la question. Rien sur son blog, rien non plus sur le portail du gouvernement

L’affaire témoigne néanmoins de l’émergence progressive d’une communauté transnationale d’individus en capacité de se mobiliser de manière très rapide, efficace et précise, à défaut peut-être de sensibiliser le commun des mortels aux enjeux.

Mikaël Cabon

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