Hadopi. Les majors remportent la première bataille de la guerre de la musique

Bienvenue dans un monde de guerre économique. Le marché de la musique n’y échappe pas. C’est Warner Music , l’une des majors de l’oligopole qui régit la musique à travers le monde, qui le dit dans son rapport annuel 2008 : « We will continue to take a leadership role in the music industry’s war against piracy, ». Et le géant américain de la musique d’indiquer son soutien à trois organisations américaines chargées de dispenser la bonne parole de l’industrie de la musique : the Recording Industry Association of America (“RIAA”), the International Federation of the Phonographic Industry (“IFPI”) and the National Music Publishers’ Association (“NMPA”). Des organisations dont le rôle est de promouvoir les intérêts des majors du disque, et de l’entertainment en général qui bien souvent sont les mêmes. Les actions détaillées par Warner passent par l’éducation, les poursuites judiciaires et les actions de lobbying, au niveau national et international.

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En France, on a vu ce que cela donnait avec le débat sur Hadopi. Une loi qui entrera en application au courant de l’été et qui, en année pleine, selon l’étude d’impact que s’est procurée La Tribune, devrait entraîner la condamnation de 50.000 internautes (contre 250.000 prévus dans la première mouture de la loi). L’Etat pense qu’environ la moitié des internautes déconnectés feront appel et prévoitl es effectifs d’Hadopi en fonction.

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EBITDA, mon amour

Pour les majors de la musique, l’enjeu est crucial. Les ventes physiques, à savoir sur support, déclinent d’année en année. A l’inverse, les ventes numériques sont en plein boom même si elles ne compensent pas d’un point de vue monétaire la perte de chiffre d’affaires liées à la baisse des ventes de CD, de vinyles et de cassettes, s’il en reste. Mais dans une entreprise, le chiffre d’affaires ne fait pas tout. Il est une coutume des analystes financiers de regarder en premier lieu l’EBITDA. Cet indicateur représente la capacité d’une entreprise à générer du profit. Il ne prend pas en compte les amortissements et dépréciations d’actifs, ni les frais financiers. L’évolution de cet indicateur montre la tendance du secteur. Or celle-ci en 2008 est très positive.

La raison en tient en l’émergence d’un véritable marché musique mus par le succès d’ITunes et des autres plateformes de téléchargement légal mais aussi par une politique drastique de réduction des coûts mise en place chez les majors depuis une décennie et qui a occasionné quantité de plans sociaux et de suppressions de postes.

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La lutte contre les pirates est devenue un pis-aller pour une industrie qui se retrouve confrontée à une profonde rupture dans son modèle d’affaire.

Ainsi Warner toujours indique : « unauthorized consumer copying and widespread dissemination on the Internet without an economic return to us. The impact of digital piracy on legitimate music sales is hard to quantify but we believe that illegal file-sharing has a substantial negative impact on music sales. ». Ce qui signifie, grosso modo, on ne sait pas quel impact sur nos ventes le téléchargement illégal a mais on pense qu’il est important. Voire.

Une étude rappelé par un laboratoire de recherche rennais montre que les plus « gros » téléchargeurs illégaux sont également les plus acheteurs légaux (Cela comprend les achats de musique, films…). Comme une bibliothèque municipale n’a jamais volé d’acheteurs à une librairie (à un niveau global, sur la life consumer value).

En 2007, le téléchargement illégal de musique est estimé à 2,3 milliards de dollars, soit l’équivalent des ventes d’EMI cette année-là. Ce chiffre est à comparer aux près de 30 milliards d’euros de chiffre d’affaires de cette industrie cette même année. En France, l’an passé le chiffre d’affaires de l’édition musicale se montait à 1,049 milliard d’euros.

Fatal digital

On comprend que les majors du disque regrettent la période phare des années 80 dont l’album Thriller de Michaël Jackson fut vendu à 100 millions d’exemplaires.

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Mais l’avenir n’est plus à ces ventes massives, faciles presque, mais à la musique dématérialisée (même si la musique physique ne disparaîtra pas car elle reste tangible, via l’objet, et donc collectionnable) comme l’affirme le prix Nobel d’Economie, Paul Krugman qui considère que tout élément de propriété intellectuelle reposant sur un bien tangible digitalisable perdra nécessairement toute valeur et qu’il est nécessaire de trouver un autre modèle économique pour valoriser la propriété intellectuelle dans ce domaine. Le téléchargement illégal gêne également l’industrie musicale car elle entraîne à la baisse les prix du marché.

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L’Hadopi une mauvaise réponse à une bonne question

Face à ce lobbying institutionnalisé, soutenu par une part importante des artistes, généralement associée à la gauche de l’échiquier politique, et des représentants de l’Etat, les anti-Hadopi ont pu compter sur le soutien de la blogosphère d’une manière globale, des partisans d’une idéologie numérique ouverte, et de l’association de consommateurs, UFC Que Choisir.

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L’UFC a ainsi envoyé, pendant le débat, ce document à l’ensemble des parlementaires. On y constate que la misère économique dont se plaignent les majors n’est pas aussi évidente que ce que l’on aurait pu imaginer. Vivendi Universal Music voit ainsi son EBITBA progresser et les droits reversés à la SACEM, qui se chargent ensuite de les répartir aux artistes, selon des règles parfois confuses, augmentent. Alors qu’y croire dans ce jeu de dupes ?
Difficile de répondre tant le débat est devenu idéologique. Il voit s’opposer deux droits : celui de la propriété intellectuelle, qui pose la question de qui est le créateur, l’artiste (musicien, compositeur, parolier…) ou bien aussi le major parce qu’il créé de valeur marketing sans laquelle l’artiste aurait du mal à sortir de l’anonymat. Et un deuxième droit à la liberté individuelle : celle de pouvoir échanger ses copies avec d’autres membres de son réseau (dont on voit bien que cette notion s’étend de manière plus large aujourd’hui qu’elle ne l’était quand on se passait l’album Music for the masses, de Depeche Mode, pour le copier sur K7 dans la cour d’école du collège).

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En instaurant un flicage électronique basée sur une identité numérique falsifiable ou anonymisable, l’adresse IP de l’ordinateur, et s’affranchissant d’un passage devant la justice constituée, la loi Hadopi possède des défauts congénitaux qui font que le but légitime qu’elle poursuit, assurer la propriété intellectuelle des créateurs, semble d’ores et déjà assombri par les moyens qu’elle construit pour l’atteindre largement liberticides(1). L’usine à gaz qu’est l’Hadopi aura bien du mal à prouver son efficacité. Les lois basées sur des technologies sont liées à l’évolution de celles-ci et deviennent rapidement obsolètes face aux innovations quotidiennes du net. Au lieu de les combattre, elle aurait dû les accompagner dans un monde où il est devenu possible de monter facilement sa propre major.

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Il s’agit ici plus d’une question de forme que de fond. Quid des téléchargements illégaux en entreprises, dans les cybercafés, dans les établissements de formation, du piratage de réseaux Wi-Fi de particuliers, chez McDo, Starbucks… Déjà de nombreuses solutions s’offrent aux internautes pour ne pas se faire pincer : utiliser des réseaux P2P privé, rendre anonyme son adresse IP.

Pour entrer dans l’économie 2.0, les majors ont besoin de diversifier leurs sources de revenus.

–          Par la création de beaux objets, dignes d’être collectionnés

–          Par les produits dérivés

–          Par les concerts

–          Par les passages dans les médias

–          Par des offres de téléchargement légal

–          Par des partenariats avec les sites de musique en ligne

–          Par la mise en place de réseaux P2P payés par la publicité

–          La forfaitisation des offres de musique

–          Les droits DVD et VOD

–          Les sonneries de portables

La première bataille qu’ils viennent de remporter en France (mais leur campagne d’Italie vient de connaître une évolution positive) changera-t-elle la donne sur ce marché ? On peut en douter tant les habitudes de consommations viennent de connaître depuis l’avènement de l’internet haut-débit démocratisé un profond chambardement. Les majors paient comptant le fait d’avoir shooté le consommateur, dans un monde d’hyperconsommation, interconnecté, à en vouloir toujours plus. Pour les artistes, le disque pourrait devenir un simple outil de promotion pour des activités plus lucratives.

  1. 1. Il a été un moment question que l’internaute condamné à ne plus recevoir Internet pour cause de téléchargement illégal ne paie pas la part de son abonnement réservé à Internet (Concept de la double-peine). Une possibilité très vite retirée devant les pressions des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) soucieux de ne pas eux-mêmes être victimes de cette perte de chiffre d’affaires potentiel.

Nota. Il est difficile de comparer l’ensemble des chiffres donnés par les firmes car les législations fiscales ne sont pas les mêmes en fonction des pays et des pratiques comptables des entreprises. De plus, ces entreprises sont soumises, comme toutes celles dont les ventes à l’étranger sont importantes, aux fluctuations des taux de change.

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