Amiante. 100.000 morts, de la collusion, et une question : pourquoi ?

France2 diffuse ce 28 janvier un documentaire dédié au scandale de l’amiante : « 100.000 morts ». 100.000 morts, c’est l’estimation faite du nombre de victimes travaillant dans le BTP, la réparation navale, dans des locaux utilisant l’amiante, des conjoints ou conjointes également de ces ouvriers, techniciens, ingénieurs ou enseignants, qui en lavant les vêtements par exemple ont respiré ces fibres qui sont venues se nicher dans leurs poumons les condamnant à la mort. Depuis près de 100 ans pourtant, on savait que l’amiante était dangereuse. Dans les centres de production de l’amiante en France, en Corse par exemple, ou les lieux de fabrication de produits à base d’amiante, un inspecteur du travail, Denis Auribault, constate un fort taux de mortalité. A partir de 1919, certaines compagnies d’assurance américaines et anglaises cessent d’assurer les entreprises qui fabriquent des produits à base d’amiante.

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Des médecins à double discours

A partir de 1982, le contrôle des politiques de santé liées à l’amiante est confié au Conseil permanent de l’amiante (CPA). Ce regroupement de professionnels de l’amiante va de fait gérer les conséquences de l’amiante. Dans une audition au Sénat, François Malye, auteur du livre « Amiante : 100.000 mots à venir » « évoque, à propos du comité permanent amiante, « une formidable mécanique reposant sur le mensonge et la dissimulation ». Assurément, son action était d’autant plus habile que, réunissant quasiment tous les acteurs du secteur de l’amiante, industriels, ministères, scientifiques, organisations syndicales de salariés et d’employeurs, il a créé l’illusion du dialogue social. Une position dont se défend Dominique Moyen, l’ancien directeur du CPA : « Selon lui, « le CPA n’a pas été un lieu où se manifestait la pression des industriels ».

Plusieurs scientifiques participent aux travaux de ce comité, Jean Bignon, Patrick Brochard… Ce faisant, ils cautionnent l’action du comité. Avant de devenir le médecin référent de ce comité, Jean Bignon aura pourtant été un ardent défenseur de la thèse de l’interdiction. En 1977, il adresse un courrier à Raymond Barre, alors Premier ministre. Ces propos sont éloquents. « Devant la gravité des attaques qui, à travers moi-même et le Pr Selikoff (New York), ont été portées contre les experts scientifiques réunis en décembre 1976 au Centre International de Recherche contre le Cancer (Lyon), je voudrais conclure, Monsieur le Premier Ministre, en condamnant l’attitude des responsables de l’Industrie de l’amiante qui, par la diffusion de leur « Livre blanc de l’amiante », cherche à semer le doute dans l’esprit des médecins et scientifiques non informés de tous les aspects techniques de ce problème et à influencer les Pouvoirs Publics. Force est d’admettre que l’amiante est un cancérogène physique dont l’étendue des méfaits chez l’homme est actuellement bien connue. Seule, une prévention efficace, contrôlant toutes les sources d’émission des fibres d’amiante, devrait permettre de réduire cette pollution et d’éviter des conséquences plus graves sur la santé publique pour les 30 années à venir ». Troublant retournement de vestes de la part de ce médecin.

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Une stratégie de lobbying

Des professionnels de l’amiante qui savent que leurs jours sont comptés. Dans ce même rapport du Sénat est relatée la conférence de Londres sur le sujet en… 1971. Le président de la conférence confie aux industriels : « Ce document mentionne notamment les points suivants :

– « en écoutant parler des problèmes auxquels se confronte de plus en plus l’industrie de l’amiante […], j’ai l’impression que les pressions vont s’accroître à plus ou moins long terme dans tous les domaines. Et à mon avis, cela risque de se produire bientôt. Je ne peux donc que vous inviter très sérieusement à vous préparer dès maintenant à faire face à une plus grande intervention des autorités publiques et à des attaques de plus en plus violentes » ;

– « en ce qui concerne les réglementations gouvernementales à venir, il me semble tout à fait souhaitable que vous cherchiez à participer à leur élaboration à travers vos organisations. […] sans le Conseil [de recherche sur l’asbestose], qui a été créé de toutes pièces par l’industrie de l’amiante, les réglementations britanniques auraient été bien plus draconiennes » ;

– « je vous invite tous à préparer votre défense dès maintenant. […] avez-vous un comité d’action disposant des fonds nécessaires, mais aussi d’une expertise technique et médicale ? […] êtes-vous en contact avec des consultants en relations publiques capables de vous donner de bons conseils ? » ;

– « la maxime « ne réveillez pas le chat endormi » est tout à fait appropriée lorsque les choses vont lentement et que l’intérêt du public et de la presse reste faible. Mais les chats endormis peuvent se réveiller brutalement, faire entendre leur voix et montrer leurs griffes.[…] Vous devez vous préparer à l’avance »

Le CPA entreprend une véritable campagne de lobbying afin d’alerter les autorités des conséquences d’une interdiction de l’amiante sur l’emploi et l’économie française. Courriers, participation de fonctionnaires à ses réunions… Dans la presse, à la télévision, la mise en accusation de l’amiante s’accélère dans le courant des années 70.
Mais il faudra attendre la décennie 80 pour que débute le marathon de lois restreignant l’usage de l’amiante. Les industriels gagnent quelques années de répit et de profits.

En 1996, la France interdit l’usage de l’amiante (voir la vidéo) après plusieurs décrets qui en avaient déjà limité l’utilisation. Commence alors la longue agonie de l’amiante et le désamiantage des bâtiments dont l’université de Jussieu sera le symbole des profondes difficultés à se passer de ce matériau.
Mais même après cette interdiction, l’usage de l’amiante continue. Dans le port de Brest, des ouvriers de la réparation navale, employé en intérim, continue à traiter des navires gorgés d’amiante, utilisé pour ses propriétés d’isolant et sa résistance au feu. Et ce sans mesures de précaution particulière à leur égard. Ils revêtent une sorte de blouse mais aucune obligation ne leur est fait d’utiliser des masques. Peu refusent. Le scandale de l’amiante n’est pas terminé.

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