Une presse subventionnée peut-elle être indépendante ?

Dans une démocratie, la presse, les médias représentent le quatrième pouvoir après les pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif. Par son influence sur l’opinion publique, en hiérarchisant les faits importants, par son rôle de médiateur de l’information, la presse constitue un rouage essentiel des démocraties.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=DLTTW9tDkfk&feature=related[/youtube]

Néanmoins si les entreprises de presse disposent d’un rôle social, elles sont de presse, elles n’en restent pas moins des entreprises avec leurs impératifs budgétaires et l’impérieuse nécessité d’atteindre leurs équilibres économiques qui leur permettent de survivre et de continuer à exister. Les titres de presse sont des marques sur le grand marché de l’information. Au rang des recettes des entreprises de presse, la publicité et le chiffre d’affaires réalisé avec les abonnements et les ventes au numéro mais également les subventions et aides de l’Etat, en particulier pour les quotidiens d’informations générales. On trouvera avec ce lien, les tableaux d’aides et les chiffres de diffusion de la presse par catégorie téléchargeable au format Open office en double-cliquant sur les icônes. Un peu plus d’un milliard d’aides directes ou non (taux de TVA réduit, allégements postaux…). Cela peut paraître beaucoup. Est-ce le coût de la démocratie ? Est-le prix d’un silence ?

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=6RL8ybrDVj0[/youtube]

Spiil dating

Depuis peu, les sites d’informations sur Internet sont également éligibles à un fonds qui leur est dédiées : le SPIL. Au total, le montant des subventions pour la presse en ligne se monte à 20 millions d’euros par an pendant trois ans. La galette n’a pas de fève mais elle pèse un montant essentiel pour des sites de presses en ligne qui n’ont pas trouvé leur modèle économique et qui peine à assurer les dépenses qui sont inhérentes à leur fonctionnement. La jeunesse de cette activité l’explique, l’incapacité à générer des recettes provenant des lecteurs également. La presse en ligne n’a pas de prix mais elle a un coût. Dure et cruelle évidence. Le SPIIL, le syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (entendre pure-player d’internet) agit ici comme un lobby. On y retrouve une trentaine de sites d’informations en ligne. Les missions de leur syndicat sont les suivantes :

  • « Promouvoir une presse indépendante et de qualité sur Internet ;
  • Défendre un cadre juridique et réglementaire qui permette un réel développement économique de la presse en ligne, et assure sa pérennité ;
  • Participer activement au renforcement d’un métier en pleine évolution, en définissant des principes de fonctionnement communs, ainsi qu’en partageant des expériences et des pratiques très diverses. »

La première réussite de ce syndicat aura été de réussir à faire reconnaître le statut particulier des sites de presse en ligne, suite notamment aux Etats généraux de la presse où malgré quelques clashs médiatisés les contacts auront été nets entre les représentants de l’Etat et les représentants des sites de presse.

Dessin tiré du site d'informations locales Dijoscope.com

Certains, comme le site Rue89, indiquent avoir demandé des aides « par équité », de fait pour ne pas accuser un retard financier trop important par rapport à des médias qui, eux, demanderaient les aides. D’autres indiquent les refuser, c’est le cas d’Arrêts sur Images.

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Opacité des chiffres

Quand Arrêts sur Images évoque l’opacité de l’attribution de ces aides, on est en deçà de la réalité. Alors que toutes subventions de la part de l’Etat devraient faire l’objet d’une transparence totale sur les destinataires et les critères d’attribution, on nage ici dans l’obscurantisme le plus total. Certes les chiffres qui ont été annoncés pour les sites Rue89, Slate.fr, ne sont pas définitifs et feront l’objet de prochains arbitrages dans la limite de l’enveloppe des 20 millions d’euros (constitués de subventions et d’avances remboursables). Dès lors, la place est tout chaude pour les suppositions voire les fantasmes. C’est bien là un problème majeur quand on évoque la question de l’influence et des influenceurs : leur est parfois attribuée une influence qu’ils n’ont pas. Par voie de conséquence, ce sont ceux qui informent et donnent leurs chiffres qui sont les plus houspillés. La presse qui parle des journalistes, les journalistes qui parlent de la presse. Quel contre-pouvoir au contre-pouvoir ?

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199.000 euros pour Slate mais combien pour Le Monde, Libération ou Le Parisien ? Combien des titres de la presse française indiquent à leurs lecteurs le montant des aides directes ou indirectes qu’ils reçoivent (y compris les dégrèvements fiscaux, 7.500 euros par an, dont bénéficient les journalistes et qui permet aux journaux de les payer moins cher) ? Quasiment aucun. Les seuls à le faire, à publier leurs comptes de résultat, sont souvent ceux qui, bien souvent, ne touchent rien et se portent plutôt bien d’un point de vue financier. Cause ou conséquence, peu importe. Le résultat est là, on sait, et le ballon de baudruche de la chimère d’une presse vendue se dégonfle.

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Dans un article disponible sur son site, Arrêts sur Images indique les interrogations que suscitent ces subventions : « opacité sur l’attribution des aides, questions autour de la perte d’indépendance redoutée de ceux qui les acceptent, réflexe corporatiste des journalistes, heureux de se partager la manne financière sans la partager avec le reste de « l’écosystème » de l’information sur internet… »

« Presse = sidérurgie 2.0 ? »

Sur son blog, Pierre Chappaz élargit l’angle de vue en effectuant un parallèle entre la presse d’aujourd’hui et la sidérurgie dans les années 80 : mêmes lourdeurs de fonctionnement, même décalage avec la réalité du marché.

On pourrait aussi légitimement s’interroger sur le fait que c’est peut-être la presse papier qui à l’aube de sa propre restructuration. Les lecteurs lisent moins les journaux papier, les budgets publicitaires migrent vers internet (un constat encore plus accablant pour la télévision).

Son de cloche équivalent chez Thierry Crouzet qui demande lui que les blogueurs puissent eux-aussi être éligibles à ces subventions : « Le gouvernement ne subventionne que la presse qu’il peut contrôler, c’est-à-dire celle qui ressemble à une entreprise (et déficitaire de préférence). Mais nous au moins nous ne perdons pas d’argent et créons de la richesse. Nous ne sommes pas en train de ruiner des investisseurs ou de pomper les impôts de nos compatriotes. Nous participons à la vie culturelle et nous n’allons rien recevoir, sinon des volées de bois verts. »

Plus sarcastique, Narvic (Nonovision) évoque lui « une trahison pour un plat de lentilles ». On peut lire sa démonstration ici. Haletant et surtout tristement prémonitoire.

Au-delà de l’épiphénomène de la question des aides à la presse en ligne, la question porte sur l’indépendance financière de la presse d’opinion en France. 12% des recettes de la presse proviendraient des aides publiques, parfois beaucoup plus pour certains quotidiens à la dérive, comme l’Humanité, obligé d’être aidé par « le grand capital » (TF1, Lagardère…) pour survivre et qui n’en finit plus de demander le soutien de ces lecteurs. Si le tirage de la presse quotidienne nationale était d’un indice 100 en 1985, il serait aujourd’hui de 70. 30 % de baisse en 25 ans ! Ce n’est plus une chute, c’est une dégringolade. Malgré cette pente, le secteur continue à attirer des investisseurs.

Le Figaro est dans les mains de Serge Dassault, le Point dans celles de François Pinault, Bernard Arnault possède Les Echos… Roularta, un groupe de presse belge, pour l’Express, Lagardère en tant qu’actionnaire de référence pour le Monde, Alain Weill pour la Tribune, Rothschild pour Libération. Les habitudes de ces hommes d’affaires, par ailleurs souvent talentueux dans la gestion de leur business, est rarement d’ordre philanthropique. Alors à quoi bon pour eux disposer de titres de presse, aux bénéfices incertains, si ce n’est pour jouer de cette influence pour s’acheter une nouvelle virginité, s’ouvrir les portes du pouvoir.

« Le jour où Nicolas Sarkozy a acheté la presse » titrait Frédéric Fillioud en mai 2009 dans un article de Slate.fr. Une manière de voir. Cela pourrait être également : « Le jour où la presse s’est laissée achetée ». Ce qui n’est pas le cas de The Guardian, par exemple en Grande-Bretagne. Ce quotidien dit de qualité, en opposition aux tabloïds et aux célèbres pins-up de la page 3, est propriété de Scott trust, ce que l’on appellerait en France, une fondation. De fait, son indépendance est légendaire. La vision des propriétaires est le long terme. Malgré les crises qu’a connu le journal, sa qualité a été préservée et depuis plus de 160 ans ils informent les anglais en privilégiant les faits et les enquêtes. Un modèle ? Peut-être pas, une source d’inspiration certainement à l’heure où la presse française peine à s’imaginer un avenir et avec elle notre société démocratique.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=yFblENWK2wI[/youtube]

Soutenir la lecture de la presse

A mon sens, la presse ne vaut non pas par son existence mais par son lectorat. Soutenir financièrement des journaux dont le nombre de lecteurs s’étiole n’a pas de sens ni économique ni politique. L’initiative prise par l’Etat de soutenir l’opération Mon Journal Offert, consistant à offrir pendant un an à des jeunes, un jour par semaine, un quotidien va dans le bon sens. Même si elle ne résout pas la question du rapport à la gratuité dans les jeunes générations. Une information de qualité se paie mais avant de payer pour, cela suppose d’en connaître l’existence, sur papier ou sur internet. Sur internet, la terre est plate, toutes les informations sont susceptibles d’être au même niveau, la fausse rumeur comme le dossier de synthèse sur l’évolution de la génétique, sur le papier le lecteur entre dans un univers où l’information est traité par des professionnels, car c’est un métier, avec ses codes, ses règles, ses techniques. A mon sens, si aides de l’Etat il doit y avoir, et on voit mal comment la presse pourrait s’en passer, elles devraient consister à fournir aux lieux d’éducation et de culture (les bibliothèques) par exemple, à leur fournir, en prenant en charge les coûts, l’ensemble des journaux d’opinion de notre pays, sous forme papier et électronique. Cela représenterait des recettes non négligeables pour ces journaux et surtout de l’audience car si la diversité des idées est une chose, ce qui compte c’est qu’elles se répandent et suscitent le débat.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=zna_MAe1Ycs[/youtube]

retrouver ce média sur www.ina.fr
Image de couverture tirée du site marocain Haim

8 thoughts on “Une presse subventionnée peut-elle être indépendante ?

  1. mediacideur
    8 janvier 2010 at 21 h 52 min

    Passionnant, merci !

    Dommage qu’en 3 ou 4 endroits des mots (ou des phrases, on ne sait) manquent ce qui rend le texte incompréhensible parfois.

    Je vous aide :

    « Alors que toutes subventions de la part de l’Etat devraient l’objet d’une transparence totale sur les destinataires et les critères d’attribution » (on suppose que c’est le mot « faire » qui manque, donc c’est pas grave)

    « On pourrait aussi légitimement s’interroger sur le fait que c’est peut-être la presse papier qui à l’aube de sa restructuration. » (là ça se corse : il manque sûrement quelque chose mais quoi ?)

    « sa qualité a été préservée et depuis plus de 160 ans ils informant les anglais et fait entendre la voix des faits. » (?????????)

    Enfin une (toute) petite critique : c’est très bien de rappeler qui sont les proprios du Figaro, du Point, des Echos… mais moins bien de ne pas faire de même pour Liberation, L’Express, Le Monde.

    Salutations et encore bravo.

  2. admin
    8 janvier 2010 at 22 h 04 min

    Merci Mediacideur pour cette lecture et ces corrections désormais réalisées sur cet article. Cela m’apprendre à ne pas relire attentivement. Et pan sur le bec !
    MC

  3. 9 janvier 2010 at 0 h 37 min

    je suis de plus en plus pour une regulation de la presse. Il y a beaucoup trop de choses en jeu de nos jours et c’est beaucoup trop grave.

    Dans les pouvoirs que vous evoquez: judiciaire, exécutif et législatif et presse, vous oubliez celui des annonceurs.

    Claire Chazal a dit au Grand Journal qu’en vingt ans de carriere, elle avait assité a une pression editoriale des annonceurs pour changer le contenu du 20H environ dix fois. Dix fois en vingt ans c’est deja beacoup trop!

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