Bioéthique. Un embryon de discorde

Le parlement français débat actuellement de la révision des lois de bioéthique. C’est la deuxième révision, après le vote en 1994, puis la première révision de 2004. C’est une particularité législative très intéressante que d’inscrire dans l’idée même de la loi le fait qu’elle soit à mettre à jour en fonction des progrès de la science, et des frontières qu’elles repoussent, et des nouvelles questions que cela pose.

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L’enjeu de ces débats est considérable puisqu’il est question de l’être humain, de la naissance à la mort. Ces réflexions invitent à une prise en considération d’éléments scientifiques, philosophiques, législatif, spirituels nombreux, divers, fins, où la réflexion ne peut se contenter d’être manichéenne. Comme le dit Claude Huriet, ancien sénateur, « en matière de bioéthique, « il s’agit toujours d’une réflexion évolutive, pluraliste, sans prétention à l’universalité ».

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Des enjeux sociétaux considérables

L’étendue des sujets abordés est vaste : paternité post-mortem, assistance médicale à la procréation, gestation pour autrui et surtout la recherche sur les embryons. Sur ce point les affrontements sont nombreux entre ceux qui considèrent l’embryon comme une personne à part entière et ceux qui considèrent l’embryon comme une personne humaine potentielle. La différence portant sur le dernier mot. Les premiers sont plutôt des croyants, souvent des catholiques. Les seconds souvent scientifiques.
A cet égard, ces derniers jours se sont affrontés par presse interposée le plus souvent les tenants de ces deux positions. Et autant dire que cela barde sur fond de collusion réelle ou supposée d’intérêts financiers. Premier mis en cause, Marc Peschanski. Ce chercheur estime qu’il faut lever l’interdiction-autorisation (qui permet de réaliser des recherches sur les embryons sous la forme d’une exception autorisée à la loi mais remise en cause à chaque révision des lois de bioéthique) sur la recherche sur les embryons. Pour lui les progrès scientifiques potentiels que cela permettrait justifie cela.

Autant dire que cela n’est pas du goût de tout le monde. Dans une interview à la Croix, Jean Léonetti, le Monsieur Bioéthique de l’UMP, tire à balles presque réelles.

Question : « Certains, comme le biologiste Marc Peschanski, estiment que ce système risque de gêner la recherche appliquée et les investissements qu’elle nécessite…

Réponse de Jean Léonetti : « Pour Marc Peschanski, le principe d’interdiction constitue un obstacle pour les investissements financiers des grands groupes industriels. Croyez-moi, cela ne fait pas vaciller des élus qui travaillent sur l’éthique. Le système actuel, en revanche, ne gêne en rien la recherche fondamentale et publique ».

 

Attaques Ad Hominem

Que faut-il comprendre dans cette attaque frontale qui n’en prend pourtant pas l’apparence. Jean Léonetti ne répond pas vraiment à la question mais rebondit sur celle-ci pour envoyer sa flèche en accusant, à demi-mots, Marc Peschanski de conflits d’intérêts financiers. Ce n’est pas autre chose que les arguments évoqués par le site Chrétienté.info sur la question : « Peu importe que la science avance, Marc Peschanski et ses sponsors ont tout misé sur la technologie très lucrative du « criblage à haut débit » sur cellules souches embryonnaires humaines. Un article des Echos nous apprenait en juin 2009 que le labo français avait reçu « 7,5 millions d’euros du groupe pharmaceutique suisse Roche pour initier ses équipes à cette technique». Au vu des sommes colossales brassées et du marché juteux qui est en jeu, il n’est guère surprenant qu’I-Stem et l’AFM soient peu enclins à se remettre en cause au nom de principes éthiques qui sont le cadet de leurs soucis. L’annonce de Peschanski concomitante de la reprise mardi 5 avril du débat bioéthique au Palais du Luxembourg relève en outre d’un “plan com’“ savamment orchestré, lequel vise à « encourager » les sénateurs les plus libéraux, qu’ils soient de droite ou de gauche, à supprimer purement et simplement l’interdit de principe de la recherche sur l’embryon reconduit il y a quelques semaines par les députés. D’ores et déjà, Alain Milon (UMP) a obtenu que la commission des affaires sociales dont il est le rapporteur se rallie à sa proposition de passer d’un système d’interdiction avec dérogation à un régime d’autorisation de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Un revirement contre son propre camp extrêmement inquiétant avant l’ouverture de la discussion publique au Sénat la semaine prochaine. » reprenant une information développée sur le site Liberté Politique. Certains députés de la majorité s’en émeuvent : lire ici.

Peschanski répondra à ces accusations dans une interview à France Info mardi. L’émission est consultable ici. On l’écoutera ici lors d’un débat diffusé sur France24.


Peschanki n’est pas le seul à être accusé. Axel Kahn, président de la Sorbonne mais également chercheur et spécialiste de la bioéthique est également dans le panier, comme sur ce site de l’Alliance pour la vie : « Derrière l’adoption par le Sénat d’une nouvelle version de la loi bioéthique qui autorise explicitement la recherche sur l’embryon, émergent les figures des deux scientifiques qui ont le plus pesé dans le sens de ce vote. L’un, Axel Kahn avait été auditionné une nouvelle fois par les sénateurs, et l’autre, Marc Peschanski avait lancé une annonce par conférence de presse à la veille des débats, en forme d’appel à lever l’interdiction. Aussi déterminés l’un que l’autre, très médiatisés, les deux chercheurs visent régulièrement l’Église. Mais ils n’ont pas adopté la même tactique. Catholique devenu agnostique, Axel Kahn fait assaut d’amabilités et se dit «  attaché aux valeurs chrétiennes » tandis que son collègue, qui n’a rien renié de son trotskisme, fulmine ».

 

Certains groupes catholiques accusent ces chercheurs d’être vendus aux lobbies pharmaceutiques et médicaux qui pourraient trouver là un terrain d’expansion commercial.

Qu’en est-il ?

Les reproches portent sur le fond bien entendu, mais aussi sur la forme avec la remise en cause de la stratégie de communication adoptée par les défenseurs d’une évolution de la loi. Ainsi, il est reproché que le jour du vote à l’Assemblée, un sondage commandé par le syndicat des entreprises du médicament, et réalisé par la Sofres, sur l’opinion des Français sur les médicaments, soit publié. Il est visible ici. Que dit-il des aspects de bioéthique ? Rien de particulier. Peut-être laisse-t-il l’impression que les Français font confiance aux sciences médicales, et ce qui toucherait de manière plus large la bioéthique. Surtout, il permet d’aborder un second point « ce matin également, une présentation intitulée « Pathologies graves et grossesse: le médicament, un espoir pourles femmes« , le médicament dans le traitement des pathologies graves pendant la grossesse – a été faite au sein du Sénat ». Ces assises ont lieu au Sénat, comme c’est le cas pour de nombreuses conférences et colloques, demain vendredi 27 mai. Elles sont organisées par une fondation regroupant plusieurs universités parisiennes, l’Inserm et l’Ap-Hp. Pas de traces d’entreprises du médicament au sein du Conseil d’administration.

Bref, il y a peut-être collusion d’intérêts. Mais cette hypothèse n’est confirmée par aucune donnée sérieuse. Certes, le laboratoire de Marc Peschanski reçoit des financements d’entreprises du médicament, comme c’est le cas pour tous les laboratoires de recherche publique en France, mais les informations sont publiques.

« Aller plus haut »

On le voit, ce débat nécessaire et de grande envergure ne se réalise pas toujours dans la plus grande sérénité. Au-lieu de se contenter d’attaques ad hominem, stériles, dans le cadre d’une stratégie de décrédibilisation, les défenseurs de la vision objectiviste (une vie vaut toujours la peine d’être vécue, il faut protéger les embryons…) devraient évoquer leurs arguments qui sont parfois autant d’inquiétudes : quid des embryons surnuméraires ? Dans quelles conditions sont-ils détruits ? Quel accès à l’assistance médicale à la procréation ? Quels résultats à la recherche sur l’embryon ? Quels gardes-fous mettre enplace ? Comment éviter le risque d’eugénisme possible ? Quelle place pour les personnes handicapées dans notre société (car au-delà de la question des recherches sur l’embryon, un grand débat a lieu sur le dépistage de la Trisomie. Dans 95% des cas aujourd’hui, les parents qui sont informés de la Trisomie de leur enfant avant sa naissance, décident de recourir à une interruption médicale de grossesse (IMG), possible jusqu’au dernier moment avant l’accouchement) ? La fondation Le Jeune (du nom de son fondateur, découvreur du gêne de la trisomie, Jérôme Le Jeune) diffusait cette semaine cette annonce publicitaire dans le Figaro et la Croix.

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La question des moyens ne doit pas procéder celle de la fin. Le progrès scientifique est nécessaire. Il repousse des frontières et oblige à s’interroger sur des questions jusqu’à lors inconnues. Cela remet en cause des croyances, des dogmes, des certitudes, et cela doit être pris en compte pour son acceptation sociale. D’autre part, les scientifiques ne doivent pas non plus se dispenser d’expliquer, de débattre, de négocier. La quête scientifique est celle de la connaissance, certes, mais c’est aussi celle d’un mieux-être. De qui ? De la société ? Des êtres humains ? D’un être humain en particulier ? Comment assurer l’accès à ces soins le jour où ils seront rendus possibles ?

Et chacun, en arrêtant d’avancer masqué, pourrait alors faire valoir ses opinions et consentir en un dialogue constructif.

Mikaël Cabon

 

 

 

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