Le nucléaire ne laisse personne indifférent. Depuis plus de soixante ans dans notre pays, la filière est devenue l’une des plus puissantes. Au centre du dispositif, le CEA pour Commissariat à l’énergie atomique (15.000 salariés, 3,4 milliards d’euros de budget, 447 brevets). Fondé en 1945, sur une décision du gouvernement de Gaulle, il a pour mission générale de « prendre toutes les mesures utiles pour mettre la France en état d’utiliser les développements de cette nouvelle branche de la science (le nucléaire) ». Il s’agit à la fois de développement militaire en tant qu’arme et civil, en tant qu’énergie. On peut même évoquer l’imagerie nucléaire dont la France se dote au milieu des années 75. Il faudra attendre 1960 pour le premier essai d’une arme nucléaire française, à Reggane, dont on saura par la suite qu’elle fût aidée dans sa conception par les britanniques. En 1967, le premier essai à lieu à Mururoa, en Polynésie française. Depuis, de nombreuses plaintes ont été déposées par des anciens militaires ou civils pour qui la responsabilité de ces essais dans leurs maladies ne fait aucun doute. Depuis peu, on assiste à un infléchissement de l’Etat sur cette question qui considère avec plus de bienveillance leurs requêtes.
Sujet sensible par excellence, la question du nucléaire touche à la notion d’indépendance de la France. Indépendance militaire, énergétique, technologique. Nous nous concentrerons dans ce billet sur le nucléaire civil.
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Pas de pétrole mais des idées
L’image du nucléaire en France est passablement positive. Pour des raisons culturelles dans un premier temps Depuis petit, on apprend que grâce aux réacteurs disséminés à travers la France, notre pays produit de l’énergie qui lui permet d’être moins dépendant que d’autres du pétrole et des variations erratiques de ses cours. Politiques dans un second temps. A l’exception des écologistes, aucun parti politique de gouvernement ne remet en cause le développement de l’énergie nucléaire, contrairement à ce qui a pu se passer en Allemagne qui a décidé sous le gouvernement Schroëder (PSD) de cesser cette production, avant de modérer cette décision depuis l’arrivée d’Angela Merkel (CDU). Même Dominique Voynet, lorsqu’elle était ministre de l’environnement de Lionel Jospin, n’a pas fait de ce thème un casus belli. De plus, le lobby nucléaire détient les clés d’un certain nombre de réseaux d’influence à travers le pays. On le voit avec Areva. Cette entreprise de droit privé dispose pour principaux actionnaires du CEA (78%), de l’Etat et de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC)
Où vas-tu Manu-Manu-Areva ?
Sa présidente est considérée comme la femme française la plus puissante au monde, Anne Lauvergeon. Son parcours est un modèle du genre et explique bien les enchevêtrements des réseaux et connaissances des différents participants. Lors de sa formation d’ingénieur des mines, Anne Lauvergeon effectue l’un de ses stages au CEA dans les années 80. Elle passera les cinq dernières années du deuxième mandat de François Mitterrand à la présidence de la République française. Conseillère puis secrétaire-générale adjointe du Château puis, enfin, sherpa, c’est-à-dire éclaireur en préparation des sommets (d’où l’utilisation de ce mot tibétain sherpa. Est-ce que les dirigeants chinois ont aussi leurs sherpas ?) internationaux. Beau parcours. A la fin du mandat de François Mitterrand, Anne Lauvergeon travaille dans la banque, chez Alcatel pour devenir en 1999, elle n’a que 40 ans, présidente de la Cogema, qui fournit l’énergie nécessaire aux centrales. L’ensemble de la filière nucléaire française fusionnera ensuite deux ans plus tard pour donner naissance à Areva. Areva au lieu de Framatome et Cogema, on sent la volonté de faire plus sexy et de gommer toute référence au monde nucléaire dans l’appellation.
Diplomatie nucléaire
Après les Etats-Unis, la France est le second pays au monde en nombre de centrales nucléaires présentes sur son territoire. Son savoir-faire en la matière, la puissance de sa technologie, sa quasi-neutralité politique en font un partenaire idéal pour les pays qui souhaitent s’équiper en centrales nucléaires.
Le développement économique d’un pays engendre un besoin en énergie bon marché. La Chine, l’Inde, le Brésil connaissent des taux de croissance importants. Ils rattrapent progressivement le niveau économique des pays occidentaux. Si bien qu’Anne Lauvergeon est de toutes les visites présidentielles dans ces pays pour pouvoir négocier avec l’assentiment de son principal actionnaire, comme on le voit ci-dessous avec Nicolas Sarkozy lors de la signature d’un accord avec Mittal. Anne Lauvergeon est la femme assise à droit de la photo qui échange des papiers.
Pour pouvoir produire de l’énergie atomique, il faut de l’uranium, matière première indispensable car aisément fissible elle engendre beaucoup d’énergie. La filière française a d’abord exploité les mines d’uranium en France. 210 réparties sur le territoire français dont la dernière a fermé en 2001. On trouvera sur le site de l’IRSN (Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire) la liste de ces sites.
Sur la planète on en trouve principalement au Canada, en Australie, où se trouve le plus gros gisement du monde à Kaladu, au Kazakstan, en Namibie, en Russie et au Niger. Ce dernier pays fournit une part très importante de la consommation française. Areva (et ses ancêtres) y dispose depuis 40 ans d’un contrat particulier dans les mines d’Arlit. Elle vient par ailleurs de signer une autre convention minière sur le site Imouraren pour ce qui apparaît comme le deuxième gisement mondial d’uranium. Sa mise en service devrait être effectuée en 2012 pour une durée de 35 ans.
Quatre fois le PIB du Niger
Au Niger, Areva fait l’objet de vives contestations émanant d’autochtones qui reprochent au groupe français de ne pas contribuer assez au développement économique du pays voir à le piller de ses ressources. Des accusations si fortes qu’Areva s’est senti dans l’obligation de répondre. D’autant que la tension monte dans ce pays dans le partage de la valorisation des ressources minières. Selon le site SudOnline, dans un article vantant les mérites de cette implantation, « l’exploitation des minerais d’uranium représente un tiers des exportation (plus de 190 millions d’euros en 2007), 5% du Pib du pays qui se chiffre à près de 3,5 milliards d’euros et les recettes fiscales induites représentent plus de 5% des recettes fiscales nigériennes ». Le groupe Areva réalise ainsi quatre fois plus de chiffre d’affaires (13,16 milliards d’euros en 2008) que le Niger ne produit de richesses en une seule année. Et le carnet de commandes dépasse les 48 milliards d’euros selon « le rapport de croissance responsable » du groupe français. (On remarquera au passage dans ce document, page 27, que le comité des rémunérations, qui comme son nom l’indique évoque la question des rémunération des dirigeants, est le seul des comités, dont le conseil de surveillance, le comité stratégique…, a avoir 100% de taux de présence).
Pour renforcer ses liens avec les français, la filière lance de temps à autre de grandes campagnes de publicité à travers la presse dont on imagine bien qu’elle n’a pas pour vocation de faire acheter des centrales nucléaires aux lecteurs et aux téléspectateurs.
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Mission accomplie si on en juge les commentaires sous les vidéos sur Youtube. Ainsi Mindscarp qui nous dit que c’est « une très bonne pub à laquelle je pense quand j’entends cette musique ». Ou encore sseffyou, 26 ans, qui nous livre le fond de sa pensée : « le nucléaire est l’énergie de l’avenir ». Trop cool les d’jeuns. Certains se sont amusés à détourner la publicité.
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Ou encore cette publicité papier, parue dans la plupart des journaux de France, qui donnait envie d’aller récupérer ses cartons de Playmobils® dans le garage des parents.
Areva, numéro un mondial de son secteur, va même jusqu’à sponsoriser l’équipe de France de voile.
Présent sur l’ensemble de la filière, Areva poursuit son activité avec le recyclage, l’un des gros points noirs du dossier du nucléaire. C’est à la Hague, en Normandie, que se réalisent ces opérations de retraitement.
« On vous doit plus que la lumière »
Troisième intervenant dans le domaine du nucléaire en France, EDF (Electricité de France). Premier opérateur énergétique français, EDF truste la gestion des centrales nucléaires en France. Depuis une décennie, elle cherche également à se développer à l’international. Elle est ainsi un producteur majeur d’énergie dans 22 pays, souvent dans la foulée d’Areva. Les deux firmes ont d’ailleurs des liens très ténus notamment dans le domaine de la construction et du retraitement. Avec EDF Energies Nouvelles, elle cherche à se diversifier dans les énergies renouvebles ce que d’aucuns imaginent n’être qu’un
Au début du mois de juillet, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) a autorisé le principe d’une prolongation de dix ans de la durée de vie des centrales nucléaires françaises. Cette prolongation, passée comme une facture d’EDF à la Poste, permettra à EDF d’économiser des sommes essentielles à sa profitabilité et son expansion à l’étranger.
EDF qui a toute de suite entamé une nouvelle campagne de lobbying afin de pousser son avantage en demandant une prolongation de la durée de vie des centrales à 60 ans. Une idée qui fait bondir les nucléophobes auxquels je consacrerai le prochain article de ce blog, peut-être parce que trop rock’n roll, l’idée, comme la musique de cette chanson illustrant une publicité d’EDF.
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Cadeau bonus. Le Tchernobylus n’est pas un nuage
On notera qu’au final, le bilan humain s’est établi à au moins 50.000 morts.
Sur l’énergie nucléaire en général on lira avec intérêt, ces deux dossiers du site Futura Sciences :
Nucléaire, cette énergie qui fait peur.
Quel avenir pour l’énergie nucléaire ?
3 thoughts on “Energie nucléaire. Première partie. Les nucléocrates”