Nutellawashing. Quand pour une taxe sur l’huile de palme, on n’en vient à ne plus parler d’huile de palme.

On connaissait le greenwashing, technique promotionnelle qui permet de faire passer pour un produit respectant l’environnement un bien qui n’en a cure, lire sur ce sujet la passe d’armes entre Greenpeace et Volkswagen. ll nous fait maintenant apprendre un nouveau mot : le Nutellawashing.

A l’occasion de la loi de Finances pour le budget 2013 de la sécurité sociale, les sénateurs, en commission, ont souhaité instaurer une taxe additionnelle sur l’huile de palme. L’idée : faire rentrer 40 millions de recettes annuelles supplémentaires. La justification : la santé de nos concitoyens qui font rien que grossir. Les députés n’étaient pas sur la même longueur d’ondes puisqu’ils ont voté contre cet amendement.

Pendant longtemps, les mesures prises pour notre santé, par une forme de bienveillance supposée, trouvait souvent preneur dans l’opinion publique. “Fumer tue”, “A boire avec modération”, taxes diverses et allant crescendo…

On pouvait penser qu’il en serait de même avec l’huile de palme. Effectivement, qui connaît cette huile intimement, aussi bien par exemple que l’huile d’olive, ou l’huile de tournesol ou le beurre.

Elle est pourtant on le sait, utilisée dans l’industrie agroalimentaire mais comme un composant comme un autre, incorporée, par utilisée seule, du moins pas en France.

Cette huile a des qualités et des défauts. Parmi ces qualités, son prix de revient. Les industriels le savent et c’est pour cette raison qu’ils l’utilisent avec largesse. Parmi les défauts, des conséquences environnementales et sociales importantes.

En effet, c’est en Asie du Sud-Est que l’on produit cette huile tirée du palmier. Greenpeace a été la première organisation à tirer la sonnette d’alarme sur la déforestation que l’engouement pour cette huile a entraîné.

Les industriels mondiaux en demandaient tant et tant que les Indonésiens, 244 millions ‘habitants, ont commencé à détruire leurs forêts primaires pour recomposer leurs terres agricoles et y planter des palmiers dans des exploitations très carrées, productives, et rentables. C’est là que Greenpeace intervient.


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En effet, dans ces forêts tropicales qui disparaissent pour laisser place aux palmiers vit une espèce endogène : l’orang-outang. Un grand singe très proche de l’homme dont le nom même vient de la langue malaise.

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Peu après cette campagne de Greenpeace, certaines marques, et en particulier des marques distributeurs, je pense en particulier à Géant, ou des marques de chips, ont décidé de remplacer l’huile de palme par une autre forme graisseuse dans leurs produits. Ceci afin de pouvoir l’afficher sur leurs packagings et ainsi montrer leur attachement concret à une forme de développement durable.


Résultat de la manche 1. Environnement 1 – Industriels 0

 

Mais voilà, l’huile de palme a ses adeptes et ses intérêts. Alors que l’idée d’une taxe supplémentaire voit le jour, le lobby palmaire intervient et met en branle une machine efficace, si on s’en tient au résultat provisoire.


1. Il met à profit les relations qui sont les siennes avec les parlementaires pour intervenir dans le débat et faire valoir ses arguments, notamment en terme d’emplois. Technique base mais efficace (cf le kamasutra du lobbying)


2. Il relaie le débat dans les médias, grâce à l’existence de celui-ci d’abord évidemment et aussi en répondant clairement aux questions des médias.


3. Il réussit son opération de com en popularisant le terme de “taxe Nutella”.

 

Le recours à ce vocable est la clé de la réussite de cette campagne. Pourquoi ? Pour les valeurs associées à cette marque et vantée à grands renforts de publicités et de promotions chaque semaine sur nos écrans et dans les hypermarchés. Jeunesse, plaisir, convivialité, famille, amour sont les termes du territoire de la marque Nutella dont la France est le premier marché mondial avec 75.000 tonnes de produits écoulés chaque année.


De fait, s’attaquer à Nutella c’est s’attaquer à un gros poisson et à une communauté active, remplie d’aficionados. 16 millions de fans sur Facebook, des quantités de personnes qui ne peuvent envisager une journée sans Nutella. Dans certains hôtels premier prix, en périphérie des grands villes, c’est un argument de ventes des petits-déjeuners qui assurent des marges confortables.

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Selon Prodimarques, « Avec 85 % de part de marché (volume) et 89 % (valeur) en France, Nutella est le leader incontesté, jamais égalé sur le marché de la pâte à tartiner.
80 % des personnes n’achètent pas de substitut s’ils ne trouvent pas Nutella, preuve que les marques de distributeurs n’ont jamais réussi à s’installer durablement sur ce marché. Son taux de notoriété est de 95 % en spontané, 98 % en assisté. Nutella est acheté au moins une fois par an par 53 % des foyers Français, les plus gros consommateurs en Europe ».

Dans l’esprit du consommateur, dont Nutella n’aurait été que l’un des contributeurs, et très minoritaire qui plus est, cette taxe devient une attaque contre une consommation de réconfort, le Nutella sur une tartine ou mieux encore dans une crêpe avec du beurre juste en dessous. Et ce dans un contexte de crise, de burn-out de la société française. S’attaquer alors à des symboles du plaisir gustatif, c’est s’attaquer à un certain mode de vie. Et ce même si la marque a payé pour mettre fin à des poursuites judicaires aux Etats-Unis.

L’opinion publique bascule alors. D’autant que Nutella, qui ne peut plus se désintéresser de l’affaire puisque la loi porte son nom (ce qui est assez rare, d’ordinaire c’est plutôt le nom du parlementaire ou du ministre qui soumet l’idée), enchaîne et contre-attaque.
Voici la publicité diffusée dans quantité de quotidiens nationaux et régionaux. Une campagne à plus d’un millions d’euros, prix catalogue.

 

Nutella compare la “toxicité” nutritionnelle de différents produits en bas de la seconde page. On n’y parle plus d’huile de palme mais d’acides gras saturés dans les pains au chocolat, qui auront décidément été les stars de ces dernières semaines. Or, force est de constater que de ce point de vue, les chiffres présentés par Nutella sont corrects. Un nutritionniste interrogé par France Info le confirmait sur les ondes de la radio publique il y a quelques jours.

Le débat aurait dû alors, s’il avait été rationnel, se déplacer un tant soit peu sur ces graisses saturées, dangereuses elles pour la santé en trop grandes quantités. Comme un peu tout. Car comme le disait Paracelse “C’est la dose qui fait d’un remède, un poison”.

Sauf que alors, la mesure reviendrait à augmenter sciemment, voire à interdire, des produits encore plus présents dans nos vies quotidiennes. Le petit pain au chocolat c’est notre madeleine de Proust. Acheté à la sortie de l’école par une maman aimante, lors de jours de fête, il est un symbole important des viennoiseries françaises.

Dès lors, la situation est inextricable pour le gouvernement. Le Sénat vote contre l’amendement. Au plus grand plaisir de Jean-René Buisson, non non il ne s’appelle pas forêt tropicale, président de l’ANIA, l’association des industriels de l’agroalimentaire, qui s’indignait sur Twitter.


Manche 2. Environnement/Santé 1 – Industriels/Fans 1


S’achemine-t-on alors vers le match nul ? Non, car des prolongations sont prévues. Dès l’an prochain, le parlement devrait examiner un texte plus large, prenant en compte les résultats du premier débat.

On ne peut conseiller qu’à l’Etat, sauf à sans cesse succomber à la dictature de l’émotion et du superficiel, que de trouver  un autre nom à sa proposition. Le concours est ouvert. Je propose puisque la taxe sur les cons est déjà prise, et qu’elle pourrait rapporter beaucoup, la Taxe sur le Gras, ou Fat Tax.

A vos propositions.

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