Pantouflage. Christine Albanel trouve pantoufle à son pied chez France Télécom

Christine Albanel va rejoindre France Télécom pour occuper la fonction de directrice de la communication interne, externe, des mécénats et des contenus. Comme dirait Frédéric Mitterrand, « un si grand titre pour un si petit pouvoir ». Le Journal du Dimanche indique que c’est Christine Albanel qui a effectué la démarchage de proposer ses services au nouveau P-DG de France Télécom, Stéphane Richard : « Elle a pris contact avec le nouveau patron de France Télécom il y a quelques semaines, sans intermédiaire », écrit le bi-hebdomadaire.

L’ancienne ministre de la culture va donc pantoufler. Mais qu’est-ce donc que le pantouflage ? Comme nous l’écrivions dans le guide Lobby Planet Paris, le pantouflage est « l’action de passage d’un ancien haut fonctionnaire dans le secteur privé. Cela peut poser problème quand, dans l’exercice de ses anciennes fonctions, il a eu la responsabilité du secteur privé dans lequel il exerce maintenant sa nouvelle activité. Le rétro-pantouflage se pratique dans le sens inverse ». Fin de la citation.

Le mot semble donc avoir été inventé pour Christine Albanel. Ministre de la culture de mai 2007 à juin 2009, Christine Albanel aura porté la première loi « Création et Internet », perdant d’ailleurs la première manche du vote, suite à une roublardise d’élus socialistes, cachés dans les couloirs de l’Assemblée avant d’entrer en nombre dans l’hémicycle lors du vote de la loi. Leur victoire à la Pyrrhus ne sera que de courte durée puisqu’à la loi sera ensuite revotée quasiment dans les mêmes termes. Pour la petite histoire, c’est alors que, pendant le débat, Jérôme Bourreau-Guggenheim, aura aussi perdu sa place chez TF1 pour avoir critiqué la loi dans un mail envoyé à sa députée Françoise de Panafieu.

Les enjeux qui attendant Christine Albanel au sein de France Télécom sont nombreux si l’on juge ses attributions. Concernant le mécénat, nul doute qu’elles disposent de l’expérience nécessaire suite à son affectation au Palais de Versailles en tant que directrice. Concernant la communication interne et externe, dans le contexte particulier de France Télécom, si Christine Albanel ne semble pas d’un autoritarisme sans bornes, ses compétences semblent moins nettes. Pourquoi alors recruter Christine Albanel ?

Peut-être pas pour sa connaissance des logiciels libres.

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Pour sa capacité à communiquer avec les députés ? Peut-être.

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Pour son talent à monter des sites web ? Exemple avec le site Jaimelesartistes.fr, détourné depuis.

Pour son carnet d’adresses vraisemblablement.

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L’arrivée de Christine Albanel chez France Télécom suscite quelques émois. Une pétition « au nom de l’indépendance nécessaire entre état et lobbys privés ». est en ligne. Elle compte, au moment où j’écris cet article, 632 signatures. Un groupe Facebook, super, a été créé avec plus de 9.100 membres. Il n’est pas dit que l’incendie s’éteigne de lui-même, quoiqu’avec la culture du buzz, on ne peut être sûr de rien.

Un long contentieux avec les internautes

Le site Numérama avait dresse une liste de griefs à l’époque du débat sur Hadopi. La voici, reprise de ce site :

  • « En octobre 2007, alors qu’elle n’en a pas les pouvoirs, Christine Albanel fait du chantage à Free pour obtenir la fermeture d’un service d’échange de fichiers contre l’accès à la 4ème licence 3G.
  • L’an dernier, pour justifier de la lutte contre le piratage à grande échelle, Christine Albanel affirme dans un communiqué que 500.000 emplois représentés par les artistes et l’industrie culturelle sont menacés. Or lorsque Numerama a démontré d’après les propres documents du ministère qu’en tirant très fort sur la corde on obtenait au mieux 157.000 emplois culturels dont 100.000 (sic) pour la publicité, le ministère n’a jamais voulu répondre en détail à nos demandes d’éclaircissement.
  • En novembre 2008, peu avant le débat au Sénat, la ministre de la Culture ouvre un site de propagande pour défendre le projet de loi Création et Internet, Jaimelesartistes.fr. Le site compte de nombreux lobbys parmi ses partenaires, qui sont finalement (mal) masqués pour ne pas risquer la polémique. Certains des lobbys fournissent des contenus au site. D’autres participent peut-être à son financement.
  • Toujours sur ce site, le ministère de la Culture invite les visiteurs à signer la pétition coordonnée par la SACEM, une société privée d’auteurs, de compositeurs et d’éditeurs de disques. Un beau mélange des genres.
  • Toujours dans la même période, le ministère envoie massivement des messages non sollicités aux internautes pour leur demander d’aller consulter le site de propagande. A l’appui du message, le ministère communique des évaluations chiffrées de l’ampleur du piratage, qui tous sans exception sont tirées d’études commandées ou réalisées par des lobbys de l’industrie culturelle. Ni le message ni le site ne le précisent.
  • A aucun moment le ministère ne fait état de ses propres études réalisées en interne. Il a pourtant à sa disposition le Département des Etudes, de la Prospective et des Statistiques (DEPS). Mais il est vrai que ses études sont moins spectaculaires et ne vont pas dans le sens des lobbys
  • Idem pour les études de chercheurs indépendants, qui ne sont jamais citées.
  • Dans l’enceinte-même du Parlement, devant les sénateurs, Christine Albanel a repris les mêmes chiffres catastrophistes, sans préciser aux élus qu’ils étaient issus d’études mandatées par des groupes privés qui ont intérêt à voir la loi votée. Cette ommission a pu conduire les sénateurs à croire la situation plus grave qu’elle ne l’est en réalité, et à voter une loi qu’ils n’auraient pas adopté avec d’autres chiffres plus réalistes.
  • Toujours au Sénat, Christine Albanel a fait référence à un sondage censé démontrer la popularité de la riposte graduée, sans préciser ni que le sondage était commandé par un lobby du disque, ni que dans la question posée aux Français la suspension de l’abonnement à Internet était opposée à la peine d’emprisonnement prévue dans le code pénal pour l’ensemble des contrefaçons.
  • Lors du débat au Parlement et dans diverses interventions publiques, elle prétend que le retrait des DRM par les maisons de disques est un effort réalisé par anticipation du vote de la riposte graduéealors qu’il s’agit d’une décision mondiale prise par les maison de disques qui ont enfin réalisé que les DRM ne faisaient pas vendre plus d’albums, mais moins.
  • Lors de son audition en commission devant les députés, Christine Albanel a assuré que le piratage en Nouvelle-Zélande avait diminué grâce à la riposte graduée. Or la riposte graduée n’était pas encore appliquée en NZ, et ne le sera peut-être, que dans des conditions beaucoup plus restrictives qu’en France ! Lors du débat au Sénat, Mme Albanel avait également fait part des exemples américains et britanniques, alors que la RIAA cherche encore des FAI prêts à collaborer aux Etats-Unis, et que la Grande-Bretagne ne souhaite pas déconnecter les pirates présumés.
  • Non contente que la mission sur la lutte contre le piratage fut confiée au patron de la FNAC de l’époque, Christine Albanel a demandé à l’omniprésent professeur Pierre Sirinelli de diriger une mission similaire de concertation pour le filtrage du web 2.0. Or le Pr. Sirinelli a travaillé en 2007 pour le lobby français du disque à la rédaction d’un rapport préconisant le filtrage, ce qui devrait suffire à démontrer un conflit d’intérêt.
  • Christine Albanel continue sans cesse de se référer aux accords de l’Elysée négociés par Denis Olivennes, alors-même que l’un des principaux signataires, Free, a fustigé la méthode employée et renié la substance des accords.
  • Elle refuse de taper du poing sur la table contre les industries du cinéma sur la chronologie des médias, alors-même que consommateurs, sénateurs et députés l’exigent depuis plusieurs années.
  • Elle feint d’ignorer totalement les problèmes graves posés par son projet de loi, tels que les risques d’accuser un innocent ou l’impossibilité pour une personne sanctionnée de prouver matériellement sa bonne foi.
  • Elle nie le fait que l’accès à Internet puisse être un droit fondamental en Europe qui ne peut être violé que par ordre d’un tribunal, quand même bien même les députés européens ne cessent de le répéter. »

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=B-1F_eZ6dz4[/youtube]

Ni la première, ni la dernière

Christine Albanel n’est ni la première ni la dernière à faire œuvre de pantouflage pour sauver cette industrie si française et à laquelle notre fonctionnement démocratique semble attaché comme un bernique à son rocher tant la reproduction congénitale de notre élite politico-économique semble endogène. L’industrie du conseil en pantoufle a également de beaux jours devant elle comme nous l’a démontré la tentative de Rachida Dati de créer son propre cabinet de conseil à Bruxelles. Tentative avortée devant la rigueur de la réglementation européenne en la matière.

On peut ainsi citer, en laissant de côté la grande famille de Véolia :

Stéphane Richard. Directeur de cabinet de Christine Lagarde, ministre de l’économie, puis numéro 2, avant de devenir numéro 1 de France Télécom.

Jean-Jacques Aillagon. Ministre de la culture puis P-DG de TV5.

Jean-Pascal Beaufret. Haut-fonctionnaire du Trésor vers Alcatel-Lucent puis vers Natixis après une polémique sur sa nomination au Crédit Foncier.

François Pérol. Du secrétariat général adjoint de l’Elysée au groupe Banques Populaires – Caisse d’Epargne.

Cette liste, réduite ici, étonnait un journaliste allemand dans un article repris par Courrier International. Pourtant, l’industrie de la pantoufle se porte très bien aussi à l’étranger. A commencer par nos voisins d’outre-rhin.

Gerhard Schröder. Chancelier allemand puis conseiller de l’énergéticien Gazprom pour des projets qu’il avait combattu quand il était chancelier.

Dick Cheney. Vice-président de George W. Bush après avoir président d’Halliburton, une société pétrolière, bénéficiaire de gros contrats avec le Pentagone suite à la guerre en Irak 2.

Tony Blair. Premier ministre anglais puis conseiller de la banque JP Morgan.

Ce n’est d’ailleurs pas un phénomène nouveau. Dans son livre Le Pantouflage en France, Christophe Charle reprend les chiffres pour la France sur un siècle entre 1880 et 1980. Il indique même que le pantouflage « ce mal français pourrait être aussi un bien puisqu’il produit un renouvellement des cadres dirigeants d’entreprises hors des liens strictement familiaux, contribuant ainsi à instaurer dans les affaires, la  « méritocratie » mieux implantée dans le secteur public depuis longtemps »

Il ne s’agit pas ici de voir le mal partout. Les élus ou hauts-fonctionnaires ont également le droit de changer de poste et de travailler pour gagner leur vie. Mais l’absence de transparence, ou la transgression des règles, ou encore la validation de nomination avant l’avis de la commission de déontologie (valable pour les hauts fonctionnaires), ou encore l’absence de règles concernant les politiques laisse incite à la méfiance.

Comment alors retrouver confiance ?

Des moyens d’actions

Comme le dit Yves Meny, dans son livre La Corruption de la politique, « Nous manquerions d’honnêteté si nous pensions pouvoir éradiquer la corruption. Il n’existe pas de panacée à ce phénomène puisque chaque système, chaque nation a ses particularités propres. Les solutions ne peuvent être envisagées qu’en liant histoire et culture, expérience et système national. La corruption est favorisée par deux phénomènes majeurs : Une conception dominante des rapports entre les individus et l’appareil politico-administratif qui accumule les précautions et contrôles pour éviter le détournement privé de la chose publique ; une confusion des rôles et des genres par le culte des cumuls des mandats et des fonctions par exemple ». Car la corruption a pour mère la confusion des rôles.

Néanmoins, il existe des possibilités d’agir.

–        La création d’un organisme de surveillance du lobbying

–        La mise au point d’un statut de l’ancien élu

–        L’éducation à la science politique de la population

–        La déclaration d’intérêts des personnalités élues

–        L’application des lois sur le pantouflage interdisant à tout fonctionnaire de travailler, avant trois ans, dans une entreprise dont dépendait son secteur administratif.

–        Et la même règle pour les élus de premier plan ayant un poste éxécutif.

Si vous avez d’autres idées ou commentaires, je suis preneur et j’amenderais cette liste en ce sens.

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