Le salon de l’agriculture est chaque année, l’occasion pour les français de se souvenir de leurs origines agricoles. On visite en famille le grand parc d’expositions pour montrer qu’une vache ne peut se résumer à un bout de viande hachée sur l’étal d’un boucher, et que les cochons cela ne sent pas. Les industriels font leurs affaires, vendent et achètent, et au milieu de cette foule, les personnalités politiques se précipitent pour montrer à quel point cette France « des terroirs et des territoires » leur importe.
L’agriculture est une part de l’identité de notre pays. Nul ne le conteste. Sans les paysans, généralement des hommes et des femmes de bien, les campagnes seraient laissées à l’abandon, et les linéaires des hypermarchés un peu vides.
Mais ces taiseux se font parfois diseux quand on touche à leurs intérêts. Cela arrive de manière régulière. Cela s’appelle un cycle. Et les matières premières agricoles n’en sont pas exemptes loin de là. Confrontés à la concurrence internationale des autres pays agricoles, les agriculteurs français souffrent et ne se privent pas de le dire.
Ils souffrent psychologiquement d’abord, avec 400 suicides à l’année dans la profession, en Inde on parle de16.000 paysans qui se suicident par an. Et économiquement ensuite. Les secteurs du lait, de l’élevage de porcs, de bovins, les viticulteurs parfois, s’enflamment face à des prix qui ne reflètent par leurs structures de coût. La faute à qui ? A un peu tout le monde. Aux agriculteurs déjà qui laissent la main-mise des coopératives qui ont initialement été fondées pour les protéger des vicissitudes du marché. Aux industriels qui refusent que leurs prix d’achat reflètent la réalité des coûts d’exploitation. Aux consommateurs qui demandent de payer moins cher à chaque passage en caisse alors qu’ils se goinfreront sans vergogne de produits aux matières grasses saturées ou en jetteront 25% de leurs courses à la poubelle sans se poser de questions. Enfin, aux politiques qui achètent épisodiquement le silence des agriculteurs à grand coup de subventions et en les caressant dans le sens du poil. Etre l’ami des paysans est électoralement payant, au moins par sa portée symbolique, même si l’on connaît de près que les fermes intra-périphériques.
Qu’à cela ne tienne, les agriculteurs, qui ne disposent plus de la force de la masse, ils représentent 2% de la population active, compense par un activisme sans relâches.
C’est d’abord le syndicat majoritaire FNSEA qui s’en charge, menant les troupes à la bataille quand cela est nécessaire, négociant dans les ministères quand cela est préférable. Quelques trublions, dont l’APLI chez les laitiers, ou la Confédération paysanne viennent parfois jeter le trouble.
16 députés à l’Assemblée
Pour relayer le message de la profession, les agriculteurs peuvent compter sur 16 députés dont cela a été la profession avant qu’ils ne deviennent député. On trouvera la liste ici. 16 sur 577, c’est beaucoup et c’est peu. La sur-représentation du corps agricole est légère, 2,7% des députés, par rapport à son poids démographique. Rien à voir par exemple avec les médecins qui sont 31 à l’Assemblée, 5,4% des effectifs quand ils représentent moins d’1% de la population française. Ou encore des vétérinaires, 15 sur 577, qui font le lien entre les animaux et la médecine.
Si cela ne suffisait pas, le message est à nouveau relayé au sein du parlement européen par un organisme dédié à cette mission d’influencer les parlementaires. Son nom ? La Copa-Cogeca. Issue de la fusion entre la Copa et la Cogeca, cet organisme reconnaît très explicitement son rôle d’influenceur comme on peut le lire sur son site internet : « La COGECA en tant que lobby et plateforme pour les relations inter coopératives. La COGECA participe à la conception et le développement ultérieur de toutes les politiques communautaires qui créent des conditions cadres importantes pour les entreprises coopératives. La COGECA encourage la coopération entre les entreprises coopératives à l’échelle européenne ». L’une des dernières prises de position des représentants des agriculteurs vise une directive sur l’emploi des travailleurs saisonniers étrangers au sein de l’UE. On peut lire la proposition ici. Et quand un site tel Nosdeputes.fr existera au niveau européen, on pourra vérifier le pouvoir de l’influence des agriculteurs sur le parlement européen. Et encore la Copa-Cogeca n’est que l’un des représentants de la galaxie de l’influence des agriculteurs également organisés en filière.
Maintenir la pression
Et cela fonctionne bien. Rien que sur la politique agricole commune par exemple, le lobby des agriculteurs a pu faire valoir ses intérêts et retarder la mise en oeuvre de la réforme, et de l’attribution des aides qui allaient avec.
Parfois c’est sur l’information que l’action a lieu. Ainsi, l’an passé, il était possible d’accéder à la liste des organismes et exploitations subventionnées par l’Europe. Ce n’était pas très drôle, un long listing avec un nom et des montants, mais très instructif concernant les destinations des subventions attribuées par l’Union européenne, dont l’agriculture représente peu ou prou la moitié de son budget d’interventions.
L’enjeu pour les agriculteurs est également, on le comprend et c’est une réalité, de mettre en avant les défis qui attendent la planète : nourrir 9 milliards d’habitants en 2050. 2050 c’est encore loin, mais il est bon de le rappeler et de rappeler le rôle des agriculteurs dans la réponse.
Si les questions agricoles sont aussi des questions humaines, elles ne doivent pas exempter la profession et la société de se poser des questions essentielles : la justice des rapports entre producteurs et industriels, la protection de l’environnement et la lutte contre le gaspillage, ces pertes alimentaires qui représentent 30 à 40% de la production dans les pays occidentaux, et de 10 à 60 % dans les pays en voie de développement (essentiellement dans la chaîne logistique).
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Aux Etats-Unis, l’influence des agriculteurs est également considérable. Le lecteurs qui s’intéresse à cette question peut lire ce site internet avec attention. Et sur le lobby agricole français ici.
One thought on “Les agriculteurs labourent les champs du lobbying”