Plusieurs eurodéputés ont lancé un appel récemment visant à créer un observatoire de la finance, baptisé depuis « Greenpeace de la finance ».
« Il n’est pas anormal que ces entreprises fassent entendre leur point de vue et discutent régulièrement avec les législateurs, disent-ils. Mais l’asymétrie entre la puissance de ce lobbying et l’absence de contre-expertise nous semble un danger pour la démocratie. Le lobbying des uns doit en effet être contrebalancé par celui des autres. En matière environnementale et de santé publique, en face des industriels, les organisations non gouvernementales (ONG) ont développé une véritable contre-expertise. Il en est de même en matière sociale entre les organisations patronales et syndicales. Cette confrontation permet aux élus d’entendre des arguments contradictoires. En matière financière, ce n’est pas le cas. Ni les syndicats de salariés, ni les ONG n’ont développé d’expertise capable de rivaliser avec celle des banques. Il n’existe donc pas aujourd’hui de contre-pouvoir suffisant dans la société civile. Cette asymétrie constitue à nos yeux un danger pour la qualité des lois, et pour la démocratie ».
Que l’initiative vienne de parlementaires européens peut à la fois surprendre positivement et inquiéter. Surprendre positivement parce que cela signifie que l’impact des lobbies des banques est pris en considération par ceux qui votent les lois, et on ne soulignera jamais assez qu’en la matière le parlement européen dispose de possibilités plus larges que celles des parlements nationaux. Mais inquiéter aussi parce que cela signifie que ces eurodéputés se sentent démunis, malgré leurs prérogatives et leurs moyens, pour lutter contre l’asymétrie qu’ils dénoncent. Et dont on s’est rendu compte lors du dernier sommet du G8 avec la question d’une taxe bancaire spécifique.
Comment en est-on arrivé là ?
La formidable croissance entretenue en Europe par la reconstruction de ce continent après la Seconde Guerre mondiale, les vagues d’immigration, le progrès technologique et le boom démographique, non grevé par le poids, légitime mais considérable, des régimes sociaux, notamment d’assurance-retraite, a amené l’avènement des banques. Celles-ci en effet, on le sait, octroient les crédits aux particuliers, aux entreprises et aux Etats. Dans une société mondialisée et basant son expansion sur une croissance soutenue de la consommation, les banques jouent le rôle majeur de prêteurs. Pour gagner des parts de marché, en dehors de leur territoire d’origine, elles se sont constituées en conglomérats puissants, multipliant les interventions croisées, démultipliant leur champ d’application initial pour se porter à la conquête du monde. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que la BNP ne mentionne plus la signification de son acronyme, Banque Nationale de Paris, le Crédit Lyonnais, originaire, comme son nom l’indique, de Lyon, s’est rebaptisé en LCL. En Bretagne, le Crédit Mutuel de Bretagne, se présente, désormais, avec d’autres fédérations, sous l’enseigne Arkea. Bref, le nom des banques témoigne de leurs ambitions. Et celles-ci ne sont plus locales. La crise de la titrisation intervenue aux USA, contaminant par la suite le monde entier, illustre cet enchevêtrement des responsabilités. Les banques sont devenues énormes par leur poids économique et financier. Impossible alors pour les Etats de les laisser tomber, comme les lois économiques l’imposent, au risque de créer un effet dominos dont les conséquences réelles seraient largement plus dévastatrices que le gain moral. De fait, elles disposent d’un pouvoir qu’elles utilisent selon leurs intérêts.
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L’importance des réseaux
Cela ne saurait pas expliquer le pouvoir politique dont les établissements financiers disposent. Dans le monde feutré de la finance, tout est question de confiance en apparence. Pour satisfaire à cette exigence, celles-ci ont tendance à recruter des personnes issues d’un même sérail. En même temps qu’ils sont recrutés, les dirigeants des banques amènent avec eux leur proximité avec le pouvoir politique et leurs différents réseaux.
Observons ce que cela donne avec les dirigeants des plus grandes banques françaises.
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Bras armé des participations l’Etat dans l’économie, la Caisse des Dépôts et des Consignations (CDC) n’échappe pas à cette règle.
Il ne s’agit que des quatre premières banques françaises, par atavisme régional, j’ai ajouté le groupe Arkea. Mais les éléments sont clairs. Pour diriger une banque, à l’exception du Crédit Agricole, il faut avoir été fonctionnaire, inspecteur des finances si possible.
Les inspecteurs des finances sont les grands financiers de l’Etat. Très bien formé et pourvu de capacités intellectuelles puissantes, ces personnes constituent un corps d’élite qui alimente les cabinets ministériels et puisqu’il faut bien envisager une autre carrière après l’épuisante période de responsabilité politique, le monde privé : la banque. Ils ont alors l’occasion de valoriser financièrement et socialement leurs compétences, savoir-faire. Sans oublier leur entregent. Car chez les inspecteurs des Finances, si l’on sert servir la France, on sait aussi resserrer les rangs entre congénères quand le besoin se fait sentir. Cela a notamment permis à Jean-Yves Haberer, à la tête du Crédit Lyonnais lors de sa retentissante faillite dans les années 90 de passer à travers les gouttes. Tout inspecteur des finances sait qu’il peut lui aussi être amené à intégrer une banque privée dans la suite de sa carrière.
Cela renforce la solidarité. Ces réseaux s’activent tout naturellement sans qu’il ne s’agisse de corruption ou de conflits d’intérêts quand le monde bancaire est menacé.
Malgré les annonces diverses, depuis le début de la crise financière, les banques auront réussi à disposer de la caution de l’Etat suite à la dégradation de leur bilan pour des montants faramineux, évité leur nationalisation, au moins partielle, continué à délivrer des rémunérations avantageuses, en partie, grâce à l’argent du contribuable, réussi à remettre une taxe sur les banques aux calendes grecques, accepté une légère augmentation de la fiscalité des traders… Elles ont même pu se refinancer en capitaux propres au taux de 1% il y a un an exactement. Sommes qu’elles doivent désormais reverser à la Banque Centrale européenne au risque d’assécher le marché financier en liquidités dans les jours à venir. Plus malin encore, elles réussissent à empêcher la publication des « crash tests » menés par les banques centrales sur leurs capacités à affronter les crises.
Des faits que Jacques Attali dans son dernier livre au titre provocateur « Tous ruinés dans dix ans ? », commente de cette façon : « Les historiens auront du mal à comprendre ces choix tant la situation qui en résulte est particulièrement affolante, pratiquement désormais hors de contrôle ».
Regardons ce tableau que j’ai composé d’après les données recueillies dans les rapports annuels des banques concernées. Je prends en considération le produit net bancaire (PNB) qui révèle le chiffre d’affaires de la banque, ainsi que le résultat brut d’exploitation, ce qu’elle gagne par son activité de banque, et les impôts versés par ces banques, au titre de l’impôt sur les sociétés. Voici ce que cela donne.
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Alors que les résultats des banques se sont considérablement améliorés, le Big Four français ne verse pas plus d’impôts. Comment cela peut-il s’expliquer ? Les banques ont considérablement réduit leurs charges d’exploitation, moins de calendriers distribués en début d’année et de ballons gonflables donnés pour les kermesse.
Cinquième pouvoir
Après le trou d’air de 2008, l’année 2009 aura été exceptionnelle du point de vue financier pour les banques. Elles réussissent même à payer, sur les trois banques du tableau, 16% d’impôts en moins par rapport à 2007 alors que leur résultat d’exploitation a augmenté sur la même période de 18%.
Grâce aux règles fiscales qui permettent d’imputer sur plusieurs exercices les pertes financières d’une année, les provisions pour risques, la consolidation des activités, les banques échappent donc à un impôt qui aurait dû augmenter dans les mêmes proportions, ou presque, que leur RBE, à savoir de 18%, ce qui les aurait amené à payer 1,6 milliard d’impôts supplémentaires. Dans l’affaire Kerviel, on se rend compte d’ailleurs que l’un des plus gros perdants c’est l’Etat lui-même puisque les pertes occasionnées par cette histoire, environ 5 milliards d’euros, entraînent un paiement moindre de l’impôt par la Société Générale.
Voilà qui justifie bien des pratiques. Le métier des banques est de rapporter de l’argent à leurs actionnaires. Et pour cela, elles agissent au quotidien, sur les marchés, dans leurs pratiques commerciales et dans les coulisses du pouvoir. Elles y parviennent souvent. En ce sens, elles représentent un bon exemple de l’influence du cinquième pouvoir que constituent les lobbies.
PS : Avec la finance, on entre dans un territoire autonome, disposant de ses propres règles, coutumes et surtout langage. Nul n’est ici à l’abri de l’erreur ou de la confusion. Si vous repérez une grossière erreur d’analyse ou de vocabulaire, merci de m’en avertir.
Pour accéder aux résultats financiers des banques :
Cadeau bonus. Rions un peu
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2 thoughts on “Lobby des banques. Pourquoi gagne-t-il à chaque fois ?”